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Et vous que faisiez-vous le dimanche à 15 ans ?

Un dimanche. Pas un dimanche d'été. Pas le soleil sur ma peau nue, ni les plongeons des rochers, ni la grève de galets où je cours, ni la mer toujours recommencée, ni les cheveux blonds des jeunes étrangères entrevues. Non, je choisis de dire un dimanche de pension.

Je suis à l'internat chez les curés, un établissement de garçons. À l'époque, le retour à la maison, c'est seulement aux vacances, cinq fois pendant l'année scolaire. Les autres dimanches, on reste au pensionnat.

Pas de grasse mâtinée, ça nous ramollirait le caractère. Étude obligatoire, pour réviser des leçons de la semaine. Jeux dans la cour. Méditation-messe-action-de-grâce à la chapelle, il n'y a pas plus ennuyeux et ça dure des plombes : comment supporter cela à quinze ans ?

L'après-midi, c'est promenade. En rang par trois. On choisit pour nous d'interminables itinéraires qui suivent en priorité des chemins de terre entre des champs, des prairies, parfois des landes ou des bois. On marche bon train, gare aux traînards. On papote, faut bien s'occuper, mais les conversations s'épuisent vite. On shoote dans les pierres du chemin, dans les glands de la berne, les pommes blettes, les marrons échappés de leur cosse. On se fait des croche-pieds, on s'injurie en douce, on se menace. Au bout de deux heures et demi, on a le droit de faire une halte, mais il est interdit de se disperser, on va repartir bientôt.

Le retour est aussi morne que l'aller. La lumière s'adoucit avec l'heure. Les kilomètres s'accumulent. Grandit l'ennui, fatiguent les mollets. Avant de regagner la prison, notre troupe défile dans quelques rues de la ville. Dans l'une d'elle, à la fenêtre d'une maison, quand viennent les beaux jours, il y a, à l'étage, en retrait, faisant semblant de lire, une jeune demoiselle de notre âge. Elle est belle, elle est magnifique ; vrai, je la trouve éblouissante. Ces quelques instants lumineux me font souhaiter, pour chacun des dimanches à venir, la même promenade déprimante.

Bien sûr, je n'ai jamais eu l'occasion de rencontrer ma dulcinée.


J. - 74 ans

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