Dans mon nouvel abri d’écriture, quand j’apprends qu’il me manque un câble à double entrée RJ11/RJ45 pour me relier au réseau internet de mes voisins – ce qui ne m’évoque rien, mais absolument rien du tout -, je le vois comme un avantage. Ecrire. S’isoler du monde. Se mettre en retrait. Laisser l’actualité là où s’arrête la 4G. Faire un pas de côté. Prendre l’air. La mer est désormais à moins d’un kilomètre et le vent marin fouette mon visage, un vent d’est, il me déstabilise, il est bruyant, me pousse presque à renoncer à mon heure de promenade - c’est comme si la nature voulait aider pour nous chasser de ce mauvais pas, c’est comme si la nature voulait me ramener à ma table de travail. Les nuages couvrent et découvrent le soleil à grande vitesse et sur la mer la lumière change en simultanée. Les oiseaux, maîtres du ciel, planent, se laissent porter par le vent, les chorégraphies sont maitrisées, les regroupements en chœur puis l’éclatement du groupe, certains d’entre eux avancent seuls contre le vent pendant que d’autres se laissent aller ensemble. Je ne sais pas quel genre d’oiseau je suis. Plus oisillon que oiseau, seule chose certaine. Sur le kilomètre du retour, je profite de ma 4G et je plonge dans les mots d’Annie Ernaux, j’y plonge le cœur au vent. Une lettre adressée à notre président, des mots si justes. J’ai tenté, un instant de la jouer solo et le vent me ramène du côté du collectif, je ne peux me dérober même si je suis tombée du bon côté du nid. Un instant je me demande si le déplacement que je m’apprête à faire est un déplacement essentiel et sans l’ombre d’une hésitation, j’attrape la clé de ma voiture et je pars en expédition – oui, 15 minutes de voiture relèvent de l’expédition -, et j’achète dans ma grande ignorance le dit câble manquant pour me relier au monde depuis ma cabane et je retourne glorieuse m’emmêler les pattes dans les fils électriques. Et puis, le signal lumineux apparait sur mon ordinateur signifiant la réussite de la connexion. De ma connexion. Au nombre de morts. Aux difficultés de logement de certains. Aux élèves perdus de vue. Aux personnes âgées en EPHAD. Aux manques de masques. Aux soignants. A tous ceux et toutes celles-là. Là. Sur le terrain. Et je remercie Annie Ernaux de m’avoir empêchée de fermer les yeux sur le monde. Comment aurais-je même pu écrire ? Je réécoute, dans une connexion internet absolument parfaite, le texte d’Annie Ernaux. Et couchée sur la banquette du salon, à travers la fenêtre, je remarque que les nuages continuent leur défilé rapide dans le ciel rose de la tombée du jour. Et patiemment, j’attends la marée haute.
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